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ŒUVRES

n'empesche pas que chacun n'aye son idée de beauté sur laquelle il juge des autres, et à laquelle il les rapporte ; c'est sur ce principe qu'un amant trouve sa maistresse plus belle, et qu'il la propose comme exemple.

La beauté est partagée en mille différentes manières. Le sujet le plus propre pour la soustenir, c'est une femme : quand elle a de l'esprit, elle l'anime et la relevé merveilleusement.

Si une femme veut plaire, et qu'elle possède les advantages de la beauté, ou du moins une partie, elle y réussira ; et mesme si les hommes y prenoient tant soit peu garde, quoy qu'elle n'y taschast point, elle s'en feroit aymer. Il y a une place d'attente dans leur cœur, elle s'y logeroit.

L'homme est né pour le plaisir : il le sent, il n'en faut point d'autre preuve. Il suit donc sa raison en se donnant au plaisir. Mais bien souvent il sent la passion dans son cœur sans sçavoir par où elle a commencé.

Un plaisir vray ou faux peut remplir également l'esprit ; car qu'importe que ce plaisir soit faux, pourveu que l'on soit persuadé qu'il est vray[1]?


    elles contrarier cet enthousiasme. Le rôle de la mode et de la coutume ne lui échappe pas : cela lui paraît étrange, à lui si épris de raison, de vérité absolue, et cette « étrangeté » fait déjà pressentir la conception pessimiste de l'amour qu'il exprimera dans les fragments des Pensées, A. 487 : « Qui voudra connoistre à plein la vanité de l'homme n'a qu'à considérer les causes et les effects de l'amour. » (Sect. II, fr. 162.)

  1. Passage écrit encore sous l'influence de Descartes qui tend à considérer les passions dans leur rapport avec la vérité de leur objet,