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ŒUVRES

qu'il cherche au dehors. Chacun peut en remarquer en soy mesme les premiers rayons ; et selon que l'on s'apperçoit que ce qui est au dehors y convient ou s'en éloigne, on se forme les idées de beau ou de laid sur touttes choses[1]. Cependant, quoy que l'homme cherche de quoy remplir le grand vuide qu'il a fait en sortant de soy mesme, neantmoins il ne peut pas se satisfaire pour touttes sortes d'objects. lia le cœur trop vaste ; il faut au moins que ce soit quelque chose qui luy ressemble, et qui en approche le plus prest. C'est pour quoy la beauté qui peut contenter l'homme consiste non seulement dans la convenance, mais aussi dans la ressemblance : elle la restraint [2] et elle l'enferme dans la différence du sexe.

La nature a si bien imprimé cette vérité dans nos âmes, que nous trouvons cela tout disposé ; il ne faut point d'art ny d'estude ; il semble mesme que nous ayons une place à remplir dans nos cœurs et qui se remplit effectivement. Mais on le sent mieux qu'on ne peut le dire. Il n'y a que ceux qui sa- vent brouiller et mespriser leurs idées qui ne le voyent pas.

Quoy que cette idée générale de la beauté soit gravée dans le fonds de nos âmes avec des caractères ineffaçables, elle ne laisse pas que de recevoir de

  1. Voir la page 129 du manuscrit des Pensées : « Il y a un certain modelle d'agrément et de beauté qui consiste en un certain rapport entre notre nature, foyble ou forte, telle qu'elle est, et la chose qui nous plaist. » (Sect. I, fr. 32 — rapprochement fait par M. Faguet, Pascal amoureux, apud Revue latine, 26 octobre 1904, p. 579.)
  2. C'est-à-dire : la beauté restreint la ressemblance.