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DISCOURS SUR LES PASSIONS DE L'AMOUR

bles ; mais le dernier a une souplesse de pensée qui l'applique en mesme temps aux diverses parties aymables de ce qu'il ayme. Des yeux il va jusques au cœur, et par le mouvement du dehors il connoist ce qui se passe au dedans.

Quand on a l'un et l'autre esprit tout ensemble, que l'amour donne de plaisir ! Car[1] l'on possède à la fois la force et la flexibilité de l'esprit, qui est trez nécessaire pour l'éloquence de deux personnes.

Nous naissons avec un caractère d'amour dans nos cœurs, qui se développe à mesure que l'esprit se perfectionne, et qui nous porte à aymer ce qui nous paroist beau sans que l'on nous aye jamais dit ce que c'est. Qui doute aprez cela si nous sommes au monde pour autre chose que pour aymer? En effet[2], l'on a beau se cacher[3] à soy mesme, l'on ayme tousjours. Dans les choses mesmes où il semble que l'on aye séparé l'amour, il s'y trouve secrettement et en cachette; et il n'est pas possible que l'homme puisse vivre un moment sans cela.

L'homme n'ayme pas demeurer avec soy ; cependant il ayme : il faut donc qu'il cherche ailleurs de quoy aymer. Il ne le peut trouver que dans la beauté ; mais comme il est luy mesme la plus belle créature que Dieu ayt jamais formée, il faut qu'il trouve dans soy mesme le modelle de cette beauté

  1. C : on.
  2. C : on.
  3. à soy-mesme omis dans C.