Page:Œuvres de Blaise Pascal, III.djvu/122

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
106
Œuvres

Aussi, pour dire le vray, la joye qu'il nous témoignoit d'avoir pris tout un autre esprit estoit si visible, que je ne croy pas qu'on en puisse sentir une plus grande ; il nous la faisoit connoitre d'une manière envelopée, et mystérieuse.

« Quel subit changement du sort qui me conduit!
J'estois en ces climats où la neige et la glace
Font à la terre une horrible surface,
Pendant cinq ou six mois d'une profonde nuit;
Apres, quand le Soleil y revient à son tour.
Il se montre si bas, et si pasle et si sombre,
Que c'est plûtost son fantosme ou son ombre.
Que l'aimable Soleil qui rameïne le jour.
Dans un triste silence et comme en un tombeau,
Je cherchais à me plaire, ou l'extrême froidure
Ensevelit au sein de la Nature
Par un nuage espais ce qu'elle a de plus beau.

« Cependant, continuoit cet homme, je ne laissois pas d'aimer des choses qui ne me pouvoient donner que de tristes plaisirs, et je les aimois, parce que j'estois persuadé que les autres ne pouvoient connoistre que ce que j'avois connu. Mais enfin je suis sorti de ces lieux sauvages, me voila sous un Ciel pur et serein. Et je vous avoue que d'abord, n'estant pas fait au grand jour, j'ay été fort ébloui d'une lumière si vive, et je vous en voulois un peu de mal ; mais, à cette heure que j'y suis accoutumé, elle me plaist, elle m'enchante, et, quoique je regrette le tems que j'ay perdu, je suis beaucoup plus aise de celui que je gagne. Je passois ma vie en exil, et vous m'avez ramené dans ma patrie. Aussi vous ne sauriez croire combien je vous suis obligé. Depuis ce voyage, il ne songea plus aux Mathématiques qui l'avoient toujours occupé, et ce fut là comme son abjuration. » (De l'Esprit, Discours de Monsieur le chevalier de Méré à Madame ***. Paris, 1677, p. 98 sqq.)

François Collet rétablit sans peine les noms désignés par des initiales. Le D. D. R. est le duc de Roannez : au moment