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à présent, et que tout estoit achevé. Et ensuitte elle m'as- seura qu'elle estoit fort en peine de m'avoir vue si inquiétée pour faire que cette personne agit avec libéralité, et trop faschée quand j'avois creu qu'il ne le faisoit pas. « Je crains tout à fait, ma fille ^, que vous n'ayez offencé Dieu là dedans. Je vous prie, pensez y sérieusement; et outre cela, considérez que vous n'avez aucun sujet de peine contre Muy, car il est certain qu'il donne largement à pro- portion de son bien, surtout si on le compare presque à tous les autres. Je voudrois que vous sçussiez comme la plus part usent du desinterressement qu'on leur tesmoi- gne : cela n'est pas croyable. Mais nous ne devons pas neantmoins pour cela laisser de faire notre devoir. On dit que les séculiers sont si avares et si injustes, qu'il ne faut pas s'estonner si les^ religieuses le sont aussy, et qu'ils leur en donnent l'exemple; mais veoyez vous, ma fille, nous ne voulons pas les imiter dans leurs autres vices, pourquoy les imiterons nous dans celuy là ? Ils ayment les divertissemens, les jeux et les beaux habits; ils se vengent quand on les offence, et font plusieurs autres choses semblables, et pour cette raison là faut il que nous le fassions aussy ? Personne ne sera assez fou pour le dire ; pour quoy donc veut on que nous les imi- tions dans leur avarice ? N'est-ce pas un pesché aussy grand que tous ceux là ? Mais c'est que, quand on est avare, on est bien aise de s'excuser en disant que chacun en fait autant ; il ne faut pas se tromper ainsy, il faut connoistre le mal tel qu'il est et où il est. »

Voila, ma chère Mère, les dernières paroles qui me

��1 . « Me dit elle avec une admirable charité. »

2. « vostre parent, »

3. « religieux ».

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