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ŒUVRES

chee : elle ne se descouvre aux hommes que par la vertu de ses effets : elle n’est ni flateuse ni susceptible de flaterie : les chymeres sont aneanties par son seul aspect, avec autant de facilité que [la nuit] les tenebres par la lumiere : elle n’est jamais contraire à elle mesme, quoy qu’elle produise des effets contraires, ou qui nous semblent tels. Par tout, elle est absolument invincible. On ne la peut detruire, non pas même l’alterer en la moindre chose ; quoy que les corps dans lesquels elle se rencontre puissent changer de mouvemens, de figures et d’autres accidens. D’où il s’ensuit que tous les hommes ensemble ne peuvent rien contre elle. Les uns peuvent bien par leurs artifices, la faire croire aux autres toute differente de ce qu’elle est en effet : mais mal gré leur logique captieuse, malgré les chymeres de leur creuse Metaphysique, [elle] la nature demeure tousjours telle [qu’elle est] constante en son estre veritable : et la Morale, avec toute sa flaterie, avec toute l’autorité de ses partisans, quelque nombre de vois qu’elle produise, dont elle mandie les suffrages, ne recevra qu’un affront, si elle entreprent quelque chose [à son prejudice. En fin] au prejudice de la physique. Quoy qu’elle soit aussi ancienne que le monde, elle ne vieillit jamais, car le temps n’est que son vassal : elle est tousjours vieille dans ses principes : elle est tousjours nouvelle dans ses productions, sans se soucier ni des vieilles ni des nouvelles chymeres que les visionnaires ont fait, et font encores tous les jours à son egard.

La Mathematique a toutes les belles prerogatives de la physique en ce qui est d’estre véritable, immuable, et invincible, mais elle n’est pas si cachee aux hommes : elle aime l’evidence, et elle la fait paroitre clairement et distinctement dans son objet propre, qui est la grandeur ou le nombre, pourveu que cet objet soit consideré premierement et simplement dans son estenduë, dans son unité ou dans sa multiplicité comme dans la geometrie et l’arithmetique pure et speculatifve et non dans la composition des choses materielles. Car dans cette composition la mathematique, estant