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La comedie fut donc jouée[1]. La petite Pascal fit son personnage d’une maniere si surprenante qu’elle eut un applaudissement extraordinaire; car quoy qu’elle eust dix ans elle n’en paroissoit pas six, parce qu’elle estoit tres petite et tres belle ; et cet air de jeunesse, ou plustost d’enfant, qu’elle avoit estoit cause qu’on admiroit davantage de la voir entrer dans tous les sentimens qu’elle devoit exprimer : car on la voyoit par exemple paroistre tout d’un coup sur le theatre, essoufflée, saisie et effrayée comme venant d’apprendre une mauvaise nouvelle qui la surprenoit[2] ; d’autres fois pleurant et affligée, et se plaignant d’un malheur; enfin c’estoit la meilleure actrice de toute cette piece. Quand on eut fini, elle attendoit madame d’Aiguillon qui la devoit prendre pour la presenter, mais voyant qu’elle differoit trop, et que M. le Cardinal se levoit de son fauteuil pour s’en aller, elle eut peur de manquer l’occasion de luy parler de ce qui estoit le seul motif qui luy avoit fait entreprendre ce qu’elle avoit fait : elle descendit du theatre, et s’alla présenter elle mesme à M. le Cardinal qui la voyant la prit et la mit sur ses genoux, et se mit a la caresser et à luy dire mille choses obligeantes sur la manière dont elle avoit joué son rolle. Elle escouta ce qu’il luy dit, et puis se mettant à

  1. On trouvera plus bas la lettre où Jacqueline elle-même raconte la représentation de l’Amour Tyrannique (p. 227).
  2. Ce détail pourrait faire allusion au Ve acte où Tiridate arrache à Cassandre les tablettes d’Orosmane à Tigrane. En tout cas le rôle de Cassandre est un rôle de confidente, qui ne comportait pas une vingtaine de vers ; mais Jacqueline, étant sans doute la plus petite des actrices de la troupe, aura pu attirer davantage l’attention (Voir Joseph Bertrand, Blaise Pascal, Paris 1891, p. 34 et 35). Parmi les autres acteurs, Tallemant des Réaux cite François Bertaut, neveu du poète, la jeune sœur de Madame de Motteville qu’on appelait Socratine, et l’une des petites Sainctot.