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d’en voir représenter une par des enfans, et chargea de ce soin madame d’Aiguillon[1], qui se mit en peine de chercher dans Paris les enfans qui pourroient donner plus de plaisir à M. le cardinal. Elle jeta les yeux d’abord sur ma tante, qui paroissoit desja beaucoup dans le monde parce qu’elle faisoit des vers. Elle en avoit mesme fait souvent pour la Reyne, qu’elle avoit eu l’honneur de luy presenter, et dont la Reyne fut tres contente ; elle estoit mesme souvent à la cour avec des dames à qui mon grand pere la confioit, n’ayant point de mere. Madame d’Aiguillon envoya donc un gentilhomme à ma mere[2] luy demander sa petite sœur pour estre une des actrices de cette comedie. Ma mere luy respondit fort tristement qu’elle estoit à Paris seule sans pere ny mere, avec son frere et sa sœur, bien affligée de l’absence de son pere ; et qu’ils n’avoient pas assez de joye ni de gaieté pour donner du plaisir à M. le cardinal, ny les uns, ny les autres. Le gentilhomme rapporta cette response à madame d’Aiguillon qui renvoya luy dire qu’elle croyoit que c’estoit le moyen de faire revenir son pere, parce que cette enfant luy ayant donné du plaisir, il luy accorderoit asseurement ce qu’elle lui demanderoit[3]. Sur cela ma

  1. Marie de Vignerod, fille d’une sœur de Richelieu, avait épousé le marquis de Combalet, et venait de recevoir de Richelieu le titre de duchesse d’Aiguillon. Elle conserva une certaine influence après la mort de son oncle ; c’est chez elle, au Petit-Luxembourg, que Blaise Pascal, en avril 1652, exposa sa machine d’arithmétique et ses expériences d’hydrostatique. Pour les détails complémentaires voir la Vie de Jacqueline Pascal, par Madame Perier, infra, p. 148, et la lettre du 4 avril 1639, infra, p. 227.
  2. Addition du Recueil Guerrier : « Qui, quoy qu’elle n’eust que quatorze ans et demy estoit la maistresse de la maison. »
  3. Nous donnons d’après le manuscrit de la Bibliothèque Nationale f. fr. 12988, les variantes notables que fournit la version recueillie par le P. Guerrier : « Ma mere alors s’adoucit, et le pria de luy permettre d’en parler aux amis de son pere, et luy donna jour pour revenir. Les amis de mon grand pere conseillerent à ma mere d’agreer cela, et elle le fit. Alors elle pria un comedien celebre de ce temps là, nommé Mondory (qui estoit de Clermont, et qui avait pris le nom de Mondory parce que son parrain, qui estoit un homme de condition de cette ville, se nommoit M. de Mondory, qui fit ce qu’il put pour l’en empescher sans en pouvoir venir à bout), de l’instruire pour son personnage. Il l’instruisit parfaitement. » Les biographes de Mondory le font naître à Orléans ; Tallemant des Réaux à Thiers. Il était malade à cette époque. Chapelain écrit à Balzac, le 15 janvier 1689 : « Mondory est confisqué sans remede et il n’a plus que le droit de veteran sur le theatre. » Lettres, Ed. Tamizey de Larroque, t. I, p. 367.