Page:Œuvres de Blaise Pascal, I.djvu/181

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
133
BLAISE PASCAL

qui est aujourd’huy Madame de Vivonne[1], qui estoit le plus grand party du royaume pour le bien, la naissance, et la personne. Il fut surpris de cette proposition, car il y avoit plus de quatre ans qu’il avoit dans l’esprit que lorsqu’il seroit dans l’age de se marier, il tascheroit d’avoir cette demoiselle là ; cependant il n’hésita point de la refuser, croyant qu’il devoit à Dieu cette marque de fidelité de ne luy point manquer dans cette resolution qu’il venoit de luy inspirer de quitter le monde ; il respondit donc sur le champ à M. le comte d’Harcourt qu’il estoit très obligé aux personnes qui songeoient à luy, mais qu’il ne vouloit pas se marier encore. M. le comte d’Harcourt s’emporta beaucoup, et luy dit qu’il estoit fou, et qu’il seroit bien heureux si après avoir recherché une demoiselle de qualité, bien faite et bien raisonnable et la plus riche héritière du royaume, on la luy donnoit ; et qu’au jour d’huy c’estoit les parents mesme de la demoiselle qui le demandoient et qui le recherchoient, et que luy vouloit encore y penser ! M. de Roannez enfin luy déclara qu’il ne vouloit point se marier. Il s’emporta encore d’avantage et le traita mal, et enfin on commença à attribuer cela à mon oncle dans sa famille, en sorte qu’il y estoit regardé avec horreur, et qu’une fois une femme qui servoit de concierge l’alla chercher à sa chambre pour le poignarder, et heureusement elle ne le trouva pas. Depuis cela mon oncle demeura dans une retraitte et une séparation entière du monde dans laquelle il a fini ses jours, sans jamais s’y estre remis ; au

  1. Le duc de Vivonne (1636-1688), frère de Madame de Montespan, et qui fut général des galères du Roi, épousa, en septembre 1655, Antoinette-Louise, fille du président Henri de Mesmes (mort en 1650) « très riche héritière, et dont l’esprit était digne de s’allier à celui des Mortemart. » (Eug. Asse, dans la Nouvelle Bibliographie universelle,t. XLVI, p. 332 ; cf. Jovy, Pascal inédit, p. 435).