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BIOGRAPHIES

stances qui ne sont point ordinaires : l’une qu’il ne pouvoit souffrir de voir de l’eau sans tomber dans des transports d’emportemens très grands ; et l’autre bien plus estonnante, c’est qu’il ne pouvoit souffrir de voir son père et sa mère proches l’un de l’autre : il souffroit les caresses de l’un et de l’autre en particulier avec plaisir ; mais aussitôt qu’ils s’approchoient, il crioit, se debattoit avec une violence excessive ; tout cela dura plus d’un an durant lequel le mal s’augmentoit ; il tomba dans une telle extrémité qu’on le regardoit comme prest à mourir.
Tout le monde disoit dans ce tems là à son père et à sa mère, que c’estoit assurément un sort que cette sorcière luy avoit jette ; ils s’en mocquoient l’un et l’autre, regardant ces discours comme des imaginations qu’on a quand on voit des choses extraordinaires, et n’y faisant aucune attention, laissant toujours à cette femme une entrée libre dans leur maison, où elle recevoit la charité.
Enfin mon grand père, importuné de tout ce qu’on luy disoit là-dessus, fit un jour entrer cette femme dans son cabinet, croyant que la manière dont il luy parleroit luy donneroit lieu de faire cesser tous les bruits ; mais il fut très estonné lorsqu’apres les premières paroles qu’il luy dit, auxquelles elle respondit seulement et assez doucement que cela n’estoit point et qu’on ne disoit cela d’elle que par envie à cause des charitez qu’elle recevoit, il voulut luy faire peur, et, feignant d’estre assuré qu’elle avoit ensorcelé son enfant, il la menaça de la faire pendre si elle ne lui avoüoit la vérité ; alors elle fut effrayée, et se mettant à genoux, elle lui promit de luy dire tout, s’il luy promettoit de luy sauver la vie. Sur cela, mon grand père, fort surpris, luy demanda ce qu’elle avoit fait et ce qui l’avoit obligée à le faire. Elle luy dit que l’ayant prié de solliciter pour elle, il le luy avoit refusé, parce qu’il croyoit