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BLAISE PASCAL

Dieu d’amour et de consolation : c’est un Dieu qui remplit l’ame et le cœur de ceux qui le possedent. C’est un Dieu qui leur fait sentir interieurement leur misere, et sa misericorde infinie ; qui s’unit au fond de leur ame ; qui les remplit d’humilité, de foy, de confiance et d’amour ; qui les rend incapables d’autre fin que de luy mesme. Le Dieu des chrestiens est un Dieu qui fait sentir à l’ame qu’il est son unique bien ; que tout son repos est en luy, qu’elle n’aura de joye qu’à l’aymer ; et qui luy fait en mesme temps abhorrer les obstacles qui la retiennent, et l’empeschent de l’aimer de toutes ses forces. L’amour-propre et la concupiscence qui l’arrestent luy sont insupportables, et Dieu lui fait sentir qu’elle a ce fond d’amour propre et que luy seul l’en peut guerir.

Voilà ce que c’est que connoistre Dieu en chrestiens. Mais pour le connoistre en cette maniere, il faut connoistre en mesme temps sa misere et son indignité et le besoin qu’on a d’un Mediateur pour s’approcher de Dieu et pour s’unir à luy. Il ne faut point separer ces connoissances[1], parce qu’estant separées, elles sont non seulement inutiles, mais nuisibles. La connoissance de Dieu sans celle de notre misere fait l’orgueil. Celle de notre misere sans celle de Jesus Christ fait nostre desespoir ; mais la connoissance de Jesus Christ nous exempte de l’orgueil et du desespoir ; parce que nous y trouvons Dieu, seul consolateur de notre misere, et la voye unique de la reparer.

Nous pouvons connoistre Dieu sans connoistre notre misere, ou notre misere sans connoistre Dieu ; ou mesme Dieu et notre misere, sans connoistre le moyen de nous delivrer des miseres qui nous accablent. Mais nous ne

  1. F. : et, par erreur.