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NOUVEL ORGANUM.

nature, et quoique nous puissions peut-être nous flatter d’avoir fait entrer dans cet exposé des préceptes très-vrais et très-utiles, cependant nous ne le croyons pas d’une nécessité si absolue qu’on ne puisse rien faire sans ce secours. Nous ne prétendons pas non plus avoir porté l’art à sa perfection. Car notre sentiment sur ce point est que, si les hommes, ayant sous leur main une histoire naturelle et expérimentale assez complète, étaient tout à leur objet, et pouvaient gagner sur eux-mêmes deux grands points, l’un de se défaire de toutes les opinions reçues, l’autre de contenir leur esprit dans les commencements, afin de l’empêcher de s’élancer de prime-saut aux principes les plus généraux, ou à ceux qui les avoisinent, il arriverait, par la force propre et naturelle de l’esprit, et sans autre art, qu’ils retomberaient dans notre méthode même d’interprétation, vu que, les obstacles une fois levés, cette méthode est la marche véritable et spontanée de l’entendement humain. Cependant nos préceptes ne seront pas inutiles, et la marche de l’esprit en sera plus facile et plus ferme.

Nous n’avons garde non plus de prétendre qu’on n’y puisse rien ajouter. Mais au contraire, nous qui considérons l’esprit humain, non-seulement quant aux facultés qui lui sont propres, mais aussi en tant qu’il s’applique et s’unit aux choses, nous devons dire hardiment qu’avec les inventions croîtra proportionnellement l’art même d’inventer.


LIVRE DEUXIÈME.

I. Créer une nature nouvelle dans un corps donné, ou bien produire des natures nouvelles et les y introduire, tel est le résultat et le but de la puissance humaine. Quant à la découverte de la forme de la nature donnée, de sa vraie différence, de sa nature naturante, ou enfin de sa source d’émanation (car nous ne trouvons sous notre main que ces termes-la qui indiquent à peu près ce que nous avons en vue), celle découverte, dis-je, est l’œuvre propre et le but de la science humaine. Or, à ces deux buts primaires sont subordonnés deux buts secondaires et de moindre importance, savoir au premier, la transformation des corps concrets d’une espèce en une autre espèce, dans les limites du possible, au second, la découverte à faire dans toute génération