Page:Œuvres de Bacon, II.djvu/54

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gaires. Devons-nous donc être étonnés que ce qui est sans honneur soit aussi sans succès ? XCII. De tous les obstacles qui empêchent les hommes de former dans les sciences de nouvelles entreprises et d’y prendre pour ainsi dire de nouvelles tâches, le plus puissant est la facilité même avec laquelle ils désespèrent du succès et supposent que toute grande découverte est impossible, car c’est principalement en ce point que les hommes judicieux et sévères manquent de confiance et de courage, considérant a toute heure les obscurités de la nature, la courte durée de la vie, les illusions des sens, la faiblesse du jugement humain et cent autres semblables inconvénients Vains efforts, pensent-ils, dans les révolutions de ce monde et dans ses différents âges, les sciences ont leur flux et leur reflux, on les voit, tantôt croître et fleurir, tantôt décliner et se flétrir, de maniére cependant qu’apres être parvenues a un certain degré suprême ou maximum elles ne vont jamais au delà. Aussi, lorsque vient à paraître quelqu’un qui ose promettre de plus grandes choses ou les espérer, sa généreuse hardiesse est-elle taxée de présomption et imputée à défaut de maturité Dans les entreprises de cette nature, dit-on alors, le commencement est flatteur, le milieu épineux, la fin humiliante Et comme c’est dans l’esprit des hommes, graves et judicieux que tombent le plus souvent ces pensées si décourageantes, il est trop vrai que nous devons être attentifs sur nous-mêmes, de peur que, séduits par un objet très-beau sans doute et très-grand en lui-même, nous ne venions à relâcher de la sévérité de notre jugement. Voyons quelle espérance peut nous luire, et de quel côté se montre cette lumière. Rejetons cette fausse lueur d’espoir ; mais ce qui peut avoir en soi plus de solidité, lâchons de le bien discuter et de le bien peser. Il est même bon d’appeler a notre discussion cette sorte de prudence par laquelle on se gouverne ordinairement dans les affaires ; science qui se fait une règle de la défiance, et, dans les choses humaines, suppose toujours le pire. C’est donc de nos espérances que nous allons parler, car nous ne sommes rien moins que de simples prometteurs ; nous ne dressons point d’embûches aux esprits, mais nous conduisons les hommes de leur bon gré et comme par la main. Nous serons, il est vrai, plus à portée de remédier à ce découragement, qui fait obstacle aux progrès des sciences, quand nous en serons au detail des expériences et des observations, surtout a nos tables d’invention, digérées et ordonnées avec le plus grand soin (tables qui appartiennent à la seconde, ou plutôt à la quatrième partie de notre Restauration des sciences,