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de jalousie plus âpre et plus meurtrière que celle des hommes de cette classe observation suivie d’une autre destinée à montrer combien cette punition de l’exil, infligée à Dédale, était peu judicieuse et mal choisie. En effet, les artistes (les artisans et les gens de lettres) distingués sont accueillis honorablement chez presque toutes les nations, en sorte que l’exil est rarement pour eux un véritable châtiment. Car les hommes des autres professions ou conditions ne tirent pas aussi aisément parti de leurs talents hors de leur patrie ; au lieu que l’admiration qu’excitent les hommes de talent et leur renommée se propagent et s’accroissent plus aisément en pays étrangers la plupart des hommes étant naturellement portés à donner la préférence aux étrangers sur leurs concitoyens, relativement aux ouvrages et aux productions de ce genre.

Ce que cette fable dit ensuite des avantages et des inconvénients des arts mécaniques est incontestable. En effet, la vie humaine leur doit presque tout, elle leur doit tout ce qui peut contribuer à rendre la religion plus auguste, à donner au gouvernement plus de majesté et a nous procurer le nécessaire, l’utile ou l’agréable ; car c’est de leurs trésors que nous tirons tout ou presque tout pour satisfaire nos vrais et nos faux besoins. Cependant, c’est de la même source que dérivent les instruments de vice et même les instruments de mort, car, sans parler de l’art des courtisanes et de tous ces arts corrupteurs qui leur fournissent des armes, nous voyons assez combien les poisons subtils, les machines de guerre et autres fléaux de cette espèce (dont nous avons obligation au génie inventif des mécaniciens et autres physiciens) l’emportent par leurs effets meurtriers sur l’affreux Minotaure.

Le labyrinthe est un emblême très ingénieux de la nature de la mécanique prise en général. En effet les inventions et les constructions les plus ingénieuses de cette espèce peuvent être regardées comme autant de labyrinthes vu la délicatesse, la multitude, le grand nombre, la complication et l’apparente ressemblance de leurs parties, dont le jugement le plus subtil et l’œil le plus attentif ont peine à saisir les différences, assemblages ou, sans le fil de l'expérience, on court risque de se perdre. Ce n’est pas avec moins de justesse et de convenance qu’on ajoute dans cette fable que ce fut le même homme qui imagina tous les détours du labyrinthe et qui donna l'idée de ce fil à l’aide duquel on pouvait le parcourir sans s’y perdre car les arts mécaniques, ayant leurs inconvénients ainsi que leurs avantages, sont comme autant d'épées à deux tranchants qui servent tantôt à faire le mal, tantôt à y remédier ; et le mal qu'ils font quelquefois balance tellement le bien qu’ils