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ESSAIS DE MORALE ET DE POLITIQUE

Quant aux remèdes et aux préservatifs contre les séditions, il en est de généraux, que nous allons indiquer en masse et sans nous astreindre aux lois de la méthode. Mais, pour opérer une cure complète et radicale, il faut appliquer à chaque espèce de maladie de ce genre le remède qui lui est propre, et par conséquent faire beaucoup plus de fond sur la prudence personnelle de ceux qui gouvernent, que sur des préceptes et des règles fixes.

Le premier de tous ces remèdes ou préservatifs, c’est d’oter ou de diminuer, autant qu'il est possible, cette cause matérielle de sédition dont nous parlions plus haut, je veux dire la pauvreté, la disette qui se fait sentir dans un État. Or les moyens qui peuvent mener à ce but sont de dégager toutes les routes du commerce, de lui en ouvrir de nouvelles et d'en bien régler la balance, d'encourager les manufactures et l’industrie nationale, de bannir l’oisiveté, de mettre un frein au luxe et aux dépenses ruineuse» par des lois somptuaires, d’encourager aussi par des récompenses et des lois impartiales tout ce qui tend à la perfection de l’agriculture, de régler le prix des denrées et de toutes les choses commerciales, de modérer les taxes et les impositions, etc. Généralement parlant, il faut prendre garde aussi que la population, surtout quand les guerres ne la diminuent point, n’excède la quantité d’hommes que le royaume peut nourrir par le produit de son agriculture, de son industrie et de son commerce. Mais, pour pouvoir déterminer avec justesse la quantité de cette population, il ne suffit pas d'avoir égard au nombre absolu des têtes, car un petit nombre d'hommes qui dépensent beaucoup et qui travaillent très peu ruineraient plus promptement un État que ne le feraient un grand nombre d’hommes très laborieux et très économes. Aussi, lorsque le nombre des nobles et autres personnes de distinction est en trop grande proportion avec les classes inférieures du peuple, ils appauvrissent et épuisent l’État. Il en est de même d’un clergé très nombreux, qui, après tout, ne met rien à la masse, ainsi que les gens de lettres, et en général les gens d’étude, dont le nombre ne doit pas non plus excéder de beaucoup celui que les émoluments des professions actives qui exigent des connaissances peuvent entretenir.

Voici une autre observation qu’on ne doit pas perdre de vue une nation ne peut s’accroitre, par rapport aux richesses , qu’aux dépens des autres, attendu que, ce qu’elle gagne, il faut bien que quelqu’un le perde. Or il est trois sortes de choses qu’une nation peut vendre à une autre, savoir la matiere première ou le produit brut, le produit manufacturé, et le transport (le fret on le nolisage) Ainsi, lorsque ces trois roues principales tournent avec aisance, les