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ESSAIS DE MORALE ET DE POLITIQUE

Comme si ces bruits dont nous parlons ne se faisaient entendre qu’apres que la sédition est passée et n’en étaient que les restes ! Mais la vérité est qu’ils en sont ordinairement le prélude. Quoi qu’il en soit, le poète observe judicieusement qu’il n’y a d’autre différence entre les séditions et les bruits séditieux que celle qui se trouve entre le frère et la sœur, entre le mâle et la femelle, surtout lorsque le mécontentement général est porté au point que les plus justes et, les plus sages opérations du gouvernement, et celles qui devraient le plus contenter le peuple, sont prises en mauvaise part et malignement interprétées; ce qui montre que ce mécontentement est à son comble, comme l’observe Tacite lorsqu’il dit : « Le mécontentement public est si grand qu’on lui reproche également et le bien et le mal qu’il fait. » Mais, de ce que ces bruits dont nous parlons sont un présage de troubles, il ne s’ensuit point du tout qu’en prenant des mesures très sévères pour les faire cesser on préviendrait ces troubles; car souvent, lorsqu’on a le courage de les mépriser, ils tombent d’eux-mêmes, et toutes les peines qu’on se donne pour les faire cesser ne servent qu’à les rendre plus durables.

De plus, certain genre d’obéissance dont parle Tacite doit être suspect : « Ils demeuraient tous dans le devoir, dit-il, de manière toutefois qu’ils étaient plus disposés à raisonner sur les ordres du gouvernement, qu’à les exécuter. » En effet, discuter ces ordres, se dispenser par des excuses de les exécuter, ou les éluder par des plaisanteries, ce sont autant de manières de secouer le joug, autant d’essais de désobéissance, surtout lorsque ces raisonneurs qui défendent le gouvernement parlent bas et avec timidité, tandis que leurs opposés parlent haut et avec insolence.

De plus, comme l’a judicieusement observé Machiavel, lorsqu’un prince, qui devrait être le père commun de tous ses sujets, se livre trop à l’un des deux partis et penche excessivement à droite ou à gauche, il en est de son gouvernement comme d’un bateau qui, étant trop chargé d’un-côté, finit par chavirer. C’est une vérité qu’apprit à ses dépens Henri III, roi de France; car il ne se joignit d’abord à la Ligue que pour abattre plus aisément les protestants; mais ensuite cette Ligue même se tourna contre lui. Lorsque, dans la défense d’une cause, l’autorité royale n’est plus qu’une sorte d’accessoire, les sujets, croyant avoir un lien plus sacré que celui de l’obéissance qu’ils doivent au souverain, des lors le prince commence à être dépossédé de son autorité.

Quand les rebelles et les factieux parlent ou agissent ouvertement et avec audace, leur insolence annonce qu’ils ont déjà perdu