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ment irrégulier, & qui, à force de beautés vives, jeunes, brillantes & continues, nous a prouvé qu’il y a une magie d’esprit, au moyen de laquelle un ouvrage peut avoir des défauts sans conséquence.

J’oubliois celui de Lucain qui mérite attention, & où je trouvai une fierté tantôt Romaine & tantôt Gasconne, qui m’amusa beaucoup.

Je n’aurois jamais fait, si je voulois parler de tous les Poëmes que je vis ; mais j’avoue que je considérai quelque temps celui de Chapelain, cette Pucelle si fameuse & si admirée avant qu’elle parût, & si ridicule dès qu’elle se montra.

L’esprit que Chapelain avoit eu de son vivant, étoit là aussi bien que son Poëme, & il me sembla que le Poëme étoit bien au-dessus de l’esprit.

J’examinai en même temps d’où cela venoit, & je compris, à n’en pouvoir douter, que, si Chapelain n’avoit sçu que la moitié de la bonne opinion qu’on avoit de lui, son Poëme auroit été meilleur ou moins mauvais.

Mais cet Auteur, sur la foi de sa réputation, conçut une si grande & si sérieuse vénération pour lui-même, se crut obligé d’être si merveilleux, qu’en cet état il n’y eut point de vers sur lequel il ne s’appesantît gravement pour le mieux