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LES INFORTUNES DE LA VERTU.

est-ce là l’heure de venir dans une église ? vous avez bien l’air d’une aventurière.

— Saint homme, dis-je en me prosternant, j’ai cru qu’il était toujours temps de se présenter à la maison de Dieu ; j’accours de bien loin pour m’y rendre, pleine de ferveur et de dévotion, je demande à me confesser s’il est possible, et quand ma conscience vous sera connue, vous verrez si je suis digne ou non de me prosterner aux pieds de l’image miraculeuse que vous conservez dans votre sainte maison.

— Mais ce n’est pas trop l’heure de se confesser, dit le moine en se radoucissant ; où passerez-vous la nuit ? nous n’avons point d’endroit pour vous loger ; il valait mieux venir le matin.

À cela je lui dis toutes les raisons qui m’en avaient empêchée, et sans me répondre davantage il fut rendre compte au gardien. Quelques minutes après j’entendis qu’on ouvrit l’église, et le père gardien, s’avançant lui-même à moi vers la cabane du jardinier, m’invita à entrer avec lui dans le temple. Le père Raphaël, dont il est bon de vous donner une idée sur-le-champ, était un homme de l’âge que l’on m’avait dit, mais auquel on n’aurait pas donné quarante ans ; il était mince, assez grand, d’une physionomie spirituelle et douce, parlant très bien le français quoique d’une prononciation un peu italienne, maniéré et prévenant au-dehors autant que sombre et farouche à l’intérieur, comme je n’aurai que trop occasion de vous en convaincre incessamment.

— Mon enfant, me dit gracieusement ce religieux, quoique l’heure soit absolument indue et que nous ne soyons point dans l’usage de recevoir si tard, j’entendrai cependant votre confession, et nous aviserons après aux moyens de vous faire décemment passer la nuit jusqu’à l’heure où vous pourrez demain saluer la sainte image que nous possédons.

Cela dit, le moine fit allumer quelques lampes autour du confessionnal, il me dit de m’y placer, et ayant fait retirer le frère et fermer toutes les portes, il m’engagea à me confier à lui en toute assurance ; parfaitement remise avec un homme si doux, en apparence, des frayeurs que m’avait causées le père Clément, après m’être humiliée aux pieds de mon directeur, je m’ouvris entièrement à lui, et avec ma