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demain ver, après-demain mouche, n’est-ce pas toujours exister ? Eh ! pourquoi veux-tu que je sois récompensé de vertus auxquelles je n’ai nul mérite, ou puni de crimes dont je n’ai pas été le maître ? peux-tu accorder la bonté de ton prétendu dieu avec ce système, et peut-il avoir voulu me créer pour se donner le plaisir de me punir, et cela seulement en conséquence d’un choix dont il ne me laisse pas le maître ?

LE PRÊTRE.

Vous l’êtes.

LE MORIBOND.

Oui, selon tes préjugés ; mais la raison les détruit, et le système de la liberté de l’homme ne fut jamais inventé que pour fabriquer celui de la grâce, qui devenait si favorable à vos rêveries. Quel est l’homme au monde qui, voyant l’échafaud à côté du crime, le commettrait, s’il était libre de ne pas le commettre ? Nous sommes cntrainés par une force irrésistible, et jamais un instant les maitres de pouvoir nous déterminer pour autre chose que pour le côté vers lequel nous sommes inclinés. Il n’y a pas une seule vertu qui ne soit nécessaire à la nature, et réversiblement, pas un seul crime dont elle n’ait besoin, et c’est dans le parfait équilibre qu’elle maintient des uns et des autres, que consiste toute sa science. Mais pouvons-nous être coupables du côté dans lequel elle nous jette ? Pas plus que ne l’est la guêpe qui vient darder son aiguillon dans ta peau.

LE PRÊTRE.

Ainsi donc le plus grand de tous les crimes ne doit nous inspirer aucune frayeur ?

LE MORIBOND.

Ce n’est pas là ce que je dis : il suffit que la loi le condamne, et que le glaive de la justice le punisse, pour qu’il doive nous inspirer de l’éloignement ou de la terreur, mais, dès qu’il est malheureusement commis, il faut savoir prendre son parti, et ne pas se livrer au stérile remords. Son effet est vain, puisqu’il n’a pu nous en préserver, nul, puisqu’il ne le répare pas : il est donc absurde de s’y livrer, et plus absurde encore de craindre d’en être puni dans l’autre monde, si nous