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et qui la connaît assez pour oser affirmer que tel est précisément le point où elle s’arrête et précisément celui où elle est enfreinte ? Il ne faut que deux choses pour accréditer un prétendu miracle : un bateleur et des femmelettes. Va, ne cherche jamais d’autre origine aux tiens, tous les nouveaux sectateurs en ont fait, et, ce qui est plus singulier, tous ont trouvé des imbéciles qui les ont crus. Ton Jésus n’a rien fait de plus singulier qu’Apollonius de Thyane, et personne pourtant ne s’avise de prendre celui-ci pour un dieu. Quant à tes martyrs, ce sont bien assurément les plus débiles de tous tes arguments. Il ne faut que de l’enthousiasme et de la résistance pour en faire, et tant que la cause opposée m’en offrira autant que la tienne, je ne serai jamais suffisamment autorisé à en croire une meilleure que l’autre, mais très porté en revanche à les supposer toutes les deux pitoyables.

Ah ! mon ami, s’il était vrai que le dieu que tu prêches existât, aurait-il besoin de miracles, de martyrs et de prophéties pour établir son empire ? Et si, comme tu le dis, le cœur de l’homme était son ouvrage, ne serait-ce pas là le sanctuaire qu’il aurait choisi pour sa loi ? Cette loi égale, puisqu’elle émanerait d’un dieu juste, s’y trouverait d’une manière irrésistible également gravée dans tous et d’un bout de l’univers à l’autre ; tous les hommes, se ressemblant par cet organe délicat et sensible, se ressembleraient également par l’hommage qu’ils rendraient au dieu de qui ils le tiendraient ; tous n’auraient qu’une façon de l’aimer, tous n’auraient qu’une façon de l’adorer ou de le servir, et il leur deviendrait aussi impossible de méconnaïître ce dieu que de résister au penchant secret de son culte. Que vois-je au lieu de cela dans l’univers ? Autant de dieux que de pays, autant de manières de servir ces dieux que de différentes têtes ou de différentes imaginations. Et cette multiplicité d’opinions dans laquelle il m’est physiquement impossible de choisir serait, selon toi, l’ouvrage d’un dieu juste ?

Va, prédicant, tu l’outrages, ton dieu, en me le présentant de la sorte ; laisse-moi le nier tout à fait, car s’il existe, alors je l’outrage bien moins par mon incrédulité que toi par tes blasphèmes. Reviens à la raison, prédicant : ton Jésus ne vaut pas mieux que Mahomet, Mahomet pas mieux