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LE PRÊTRE.

O dieux, vous l’entendez et vous ne tonnez pas !

LE MORIBOND.

Non, mon ami, tout est en paix, parce que ton dieu, soit impuissance, soit raison, soit tout ce que tu voudras enfin dans un être que je n’admets un moment que par condescendance pour toi, ou si tu l’aimes mieux pour me prêter à tes petites vues, parce que ce dieu, dis-je, s’il existe comme tu as la folie de le croire, ne peut pas pour nous convaincre avoir pris des moyens aussi ridicules que ceux que ton Jésus suppose.

LE PRÊTRE.

Eh quoi ! les prophéties, les miracles, les martyrs, tout cela ne sont pas des preuves ?

LE MORIBOND.

Comment veux-tu, en bonne logique, que je puisse recevoir comme preuve tout ce qui en a besoin soi-même ? Pour que la prophétie devint preuve, il faudrait d’abord que j’eusse la certitude complète qu’elle a été faite. Or, cela étant consigné dans l’histoire, ne peut plus avoir pour moi d’autre force que tous les autres faits historiques, dont les trois quarts sont fort douteux. Si à cela j’ajoute encore l’apparence plus que vraisemblable qu’ils ne me sont transmis que par des historiens intéressés, je serai comme tu vois plus qu’en droit de douter. Qui m’assurera d’ailleurs que cette prophétie n’a pas été faite après coup, qu’elle n’a pas été l’effet de la combinaison de la plus simple politique, comme celle qui voit un règne heureux sous un roi juste, ou de la gelée dans l’hiver ? Et si tout cela est, comment veux-tu que la prophétie, ayant un tel besoin d’être prouvée, puisse elle-même devenir une preuve ? À l’égard de tes miracles, ils ne m’en imposent pas davantage. Tous les fourbes en ont fait, et tous les sots en ont cru. Pour me persuader de la vérité d’un miracle, il faudrait que Je fusse bien sûr que l’événement que vous appelez tel fût absolument contraire aux lois de la nature, car il n’y a que ce qui est hors d’elle qui puisse passer pour miracle :