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Jusque-là n’attends rien de moi, je ne me rends qu’à l’évidence, et je ne la reçois que de mes sens ; où ils s’arrêtent ma foi reste sans force. Je crois le soleil, parce que je le vois ; je le conçois comme le centre de réunion de toute la matière inflammable de la nature, sa marche périodique me plait sans m’étonner. C’est une opération de physique, peut-être aussi simple que celle de l’électricité, mais qu’il ne nous est pas permis de comprendre. Qu’ai-je besoin d’aller plus loin ? Lorsque tu m’auras échafaudé ton dieu au-dessus de cela, en serai-je plus avancé, et ne me faudrat-il pas encore autant d’effort pour comprendre l’ouvrier que pour définir l’ouvrage ?

Par conséquent, tu ne m’as rendu aucun service par l’édification de ta chimère, tu as troublé mon esprit, mais tu ne l’as pas éclairé, et je ne te dois que de la haine au lieu de reconnaissance. Ton dieu est une machine que tu as fabriquée pour servir tes passions, et tu l’as fait mouvoir à leur gré, mais dès qu’elle gêne les miennes, trouve bon que je l’aie culbutée ; et dans l’instant où mon âme faible a besoin de calme et de philosophie, ne viens pas l’épouvanter de tes sophismes, qui l’effraieraient sans la convaincre, qui l’irriteraient sans la rendre meilleure ; elle est, mon ami, cette âme, ce qu’il a plu à la nature qu’elle soit, c’est-à-dire le résultat des organes qu’elle s’est plu de me former en raison de ses vues et de ses besoins ; et, comme elle a un égal besoin de vices et de vertus, quand il lui a plu de me porter aux premiers, elle l’a fait, quand elle a voulu les secondes, elle m’en a inspiré les désirs, et je m’y suis livré tout de même. Ne cherche que ses lois pour unique cause à notre inconséquence humaine, et ne cherche à ses lois d’autres principes que ses volontés et ses besoins.

LE PRÊTRE.

Ainsi donc tout est nécessaire dans le monde ?

LE MORIBOND.

Assurément.

LE PRÊTRE.

Mais si tout est nécessaire, tout est donc réglé ?