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LE PRÊTRE.

Malheureux ! je ne te croyais que socinien, j’avais des armes pour te combattre, mais je vois bien que tu es athée, et dès que ton cœur se refuse à l’immensité des preuves authentiques que nous recevons chaque jour de l’existence du créateur, je n’ai plus rien à te dire. On ne rend point la lumière à un aveugle.

LE MORIBOND.

Mon ami, conviens d’un fait : c’est que celui des deux qui l’est le plus doit assurément être plutôt celui qui se met un bandeau que celui qui se l’arrache. Tu édifies, tu inventes, tu multiplies : moi je détruis, je simplifie. Tu ajoutes erreurs sur erreurs : moi je les combats toutes. Lequel de nous deux est l’aveugle ?

LE PRÊTRE.

Vous ne croyez donc point en Dieu ?

LE MORIBOND.

Non. Et cela par une raison bien simple : c’est qu’il est parfaitement impossible de croire ce qu’on ne comprend pas. Entre la compréhension et la foi, il doit exister des rapports immédiats ; la compréhension est le premier aliment de la foi ; où la compréhension n’agit point, la foi est morte, et ceux qui, dans tel cas, prétendraient en avoir, en imposent. Je te défie toi-même de croire au dieu que tu me prêches, parce que tu ne saurais me le démontrer, parce qu’il n’est pas en toi de me le définir, que par conséquent tu ne le comprends pas, que, dès que tu ne le comprends pas, tu ne peux plus m’en fournir aucun argument raisonnable, et qu’en un mot tout ce qui est au-dessus des bornes de l’esprit humain, est ou chimère ou inutilité ; que ton dieu ne pouvant être que l’une ou l’autre de ces choses, dans le premier cas je serais un fou d’y croire, un imbécile dans le le second.

Mon ami, prouve-moi l’inertie de la matière, et je t’accorderai le créateur ; prouve-moi que la nature ne se suffit pas à elle-même, et je te permettrai de lui supposer un maître.