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LE MORIBOND.

Voilà un grand homme assurément ! Eh bien, dis-moi pourquoi cet homme-là, qui est si puissant, a pourtant fait selon toi une nature corrompue.

LE PRÊTRE.

Quel mérite eussent eu les hommes, si Dieu ne leur eût pas laissé leur libre arbitre ? et quel mérite eussent-ils eu à en jouir s’il n’y eût eu sur la terre la possibilité de faire le bien et celle d’éviter le mal ?

LE MORIBOND.

Ainsi ton Dieu a voulu faire tout de travers, uniquement pour tenter ou pour éprouver sa créature : il ne la connaissait donc pas, il ne se doutait donc pas du résultat ?

LE PRÊTRE.

Il la connaissait sans doute, mais, encore un coup, il voudait lui laisser le mérite du choix.

LE MORIBOND.

À quoi bon, dès qu’il savait le parti qu’elle prendrait et qu’il ne tenait qu’à lui, puisque tu le dis tout-puissant, qu’il ne tenait qu’à lui, dis-je, de lui faire prendre le bon ?

LE PRÊTRE.

Qui peut comprendre les vues immenses et infinies de Dieu sur l’homme, et qui peut comprendre tout ce que nous voyons ?

LE MORIBOND.

Celui qui simplifie les choses, mon ami, celui surtout qui ne multiplie pas les causes, pour mieux embrouiller les effets. Qu’as-tu besoin d’une seconde difficulté, quand tu ne peux pas expliquer la première ? et dès qu’il est possible que la nature toute seule ait fait ce que tu attribues à ton dieu, pourquoi veux-tu lui aller chercher un maïtre ? La cause de ce que tu ne comprends pas est peut-être la chose du monde la plus simple. Perfectionne ta physique, et tu comprendras mieux la nature ; épure ta raison, bannis tes préjugés, et tu n’auras plus besoin de ton dieu.