Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/69

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
15
SALLUSTE.

considération, mes armées, aujourd’hui flétri par la disgrâce, sans ressources, et sans autre espoir que des secours étrangers, il serait de la dignité du peuple romain de réprimer l’injustice et d’empêcher un royaume de s’accroître par le crime. Et cependant je suis expulsé des provinces dont le peuple romain fit don à mes ancêtres, et d’où mon père et mon, aïeul, unis à vous, chassèrent Syphax et les Carthaginois. Vos bienfaits me sont ravis, sénateurs, et mon injure devient pour vous un outrage.

Hélas ! quel est mon malheur ! Voilà donc, ô Micipsa, mon père, le fruit de tes bienfaits ! Celui que tu fis l’égal de tes enfants, et que tu appelas au partage de ta couronne, devait-il devenir le destructeur de ta race ? Notre famille ne connaîtra donc jamais le repos ? serons-nous toujours dans le sang, dans les combats et dans l’exil ? Tant que Carthage a subsisté, nous pouvions nous attendre à toutes ces calamités : nos ennemis étaient à nos portes ; vous, Romains, nos amis, vous étiez éloignés : notre unique espoir était dans nos armes. Mais depuis que l’Afrique est purgée de ce fléau, nous goûtions avec joie les douceurs de la paix, nous n’avions plus d’ennemis, si ce n’est peut-être ceux que vous nous auriez ordonné de combattre. Et voilà que tout à coup Jugurtha, dévoilant son insupportable audace, sa scélératesse et son insolente tyrannie, assassine mon frère, son proche parent, et fait du royaume de sa victime le prix de son forfait. Puis, après avoir vainement tenté de me prendre aux mêmes pièges, il me chasse de mes États et de mon palais, alors que, vivant sous votre empire, je n’avais à