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XLII
ÉTUDE SUR SALLUSTE.

en effet le premier affranchissement de l’humanité ; dans la Grèce dominent encore le despotisme de l’Orient et la jalousie de la liberté, qui se montre dans l’abaissement de l’Ilote : le combat des deux ordres, le sénat et le peuple, est, à Rome, le premier pas vers cette égalité que l’empire a bien pu préparer, mais que le christianisme seul a donnée au monde.

C’est ce sentiment de patriotisme qui nous attache si fortement dans Tite-Live et dans Tacite, et qui, dans Salluste, quand il regrette l’antique simplicité des mœurs, prend un accent qui est presque celui de la vertu. C’est lui, du moins, c’est ce sentiment qui lui révèle, avec un tact si prompt et si sûr, les causes de ces vices secrets qui minent la constitution romaine, qui, déjà atteinte dans les luttes de Marius et de Sylla, ouvertement menacée par l’audace de Catilina, doit succomber sous le génie non moins hardi, mais plus habile de César. Salluste, et c’est là son trait distinctif, se distingue entre tous les historiens par un sens profond, par une connaissance pratique des hommes et des affaires. « Sa politique, dit Saint-Évremont, est juste, noble, généreuse. » Mably lui rend le même témoignage : « Voyez Salluste, c’était sans doute un fort malhonnête homme ; mais, s’élevant par les lumières de son génie au-dessus de lui-même, il ne prend point le faste, les richesses, les voluptés et la vaste étendue des provinces de la république pour des signes et des preuves de sa prospérité. Il voit Rome qui chancelle sous le poids des richesses et qui est prête à se vendre si elle trouve un acheteur. J’aime une histoire qui m’instruit, étend ma raison, et qui m’apprend à juger de ce qui se passe sous mes yeux et à prévoir la fortune des peuples où je vis par celle des étrangers[1]. » Juge aussi éclairé des hommes et des faits qu’il est écrivain ferme et précis. Salluste n’exa-

  1. De la manière d’écrire l’histoire.