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XLI
ÉTUDE SUR SALLUSTE

poëte comme Tacite ; il ne plaide ni ne point : sa passion, s’il en a une, c’est la recherche du vrai.

Les historiens latins n’ont pas, à beaucoup près, cette discrétion. Ce qui, au premier abord, frappe en eux, c’est leur physionomie nationale : Salluste, Tite-Live, Tacite, sont pleins de cette foi que l’univers appartient à Rome. Cette foi, elle est l’âme de leurs récits, l’originalité puissante de leurs œuvres ; souvent même elle va jusqu’à l’égoïsme, jusqu’au mépris de l’humanité, et à justifier les actes les moins justifiables de l’ambition romaine. Oui, Rome, personnifiée dans ses historiens, ne voit, n’admire, ne souffre qu’elle-même ; pour elle seule elle s’émeut, indifférente aux malheurs, aux larmes, à la destruction des peuples qui doutent, en lui résistant, de cette éternité que les destins lui ont promise. Que les historiens grecs sont différents ! Généreux, sympathiques à l’humanité, s’ils triomphent des victoires obtenues sur le grand roi, c’est que dans ces victoires ils voient pour les autres peuples, aussi bien que pour eux-mêmes, la défaite de l’esclavage et de la barbarie par la liberté et la civilisation, le triomphe de la Grèce sur l’Orient. J’aime donc mieux les Grecs ; mais je dois respecter, sinon admirer dans les historiens latins cet égoïsme patriotique. Le génie romain se peint tout entier dans son histoire ; il s’y peint avec toute sa personnalité et sa dureté ; et, pourtant, malgré cette préoccupation continuelle d’égoïsme, à cause de cette préoccupation peut-être, l’histoire romaine a un singulier intérêt ; toute façonnée qu’elle est à l’image du peuple roi, elle attache fortement ; c’est qu’à Rome entre les plébéiens et les patriciens, il se joue sur le Forum un drame où le monde tout entier est engagé : c’est la lutte du droit contre la force. L’histoire qui, en Grèce, n’a qu’un acteur, les hommes libres, ici en a deux, le peuple et la noblesse ; l’intérêt est donc double. De la lutte des plébéiens et des patriciens date