Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/41

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notre part, que l’on préfère Salluste à Tacite, et, nous le répétons, si cette préférence était uniquement littéraire, nous n’aurions rien à y voir : mais, ici encore, comme plus haut, en est-il bien ainsi ?

Laissons donc de côté ces considérations un peu étrangères à la littérature, et, abstraction faite des préoccupations contemporaines, cherchons quel est, parmi les historiens latins, le rang de Salluste ; mais, pour le comparer, il le faut définir.

Quand Salluste entreprit d’écrire l’histoire, la langue de l’histoire, nous le savons, n’était pas faite à Rome ; ce lui fut donc une nécessité de la créer. Cette nécessité s’accordait parfaitement avec la nature de son esprit. Salluste est avant tout un artiste en style ; il en a la passion en même temps que le sentiment ; il choisit, il façonne, il cisèle les mots : c’est le la Rochefoucauld de la langue latine. Mais ce soin minutieux a ses dangers. Continuellement occupé de donner du relief à l’expression, du trait à la pensée, de la concision à la phrase, Salluste n’évite pas toujours l’obscurité, la recherche, les chutes brusques et imprévues ; c’est le reproche que lui adressait Sénèque, qui se le fut justement applique. Ces scrupules dans Salluste ne s’arrêtent pas au style ; il les a également dans le choix et pour la forme de ses ouvrages. Ne pas tenter d’embrasser toute l’histoire romaine, dont il ne pouvait, au temps ou il écrivait, avoir le dernier mot, c’était, nous l’avons dit, une preuve de grand sens dans Salluste ; mais il faut ajouter que c’était aussi un instinct éclairé du genre de son talent, plutôt profond qu’étendu, plus sobre que riche, plus fini que naturel. Dans ces tableaux détachés de l’histoire romaine, il peut plus facilement, jaloux qu’il est avant tout de l’effet de l’ensemble, plus que de l’exactitude des détails, composer les faits, placer les personnages, ménager les nuances, préparer les contrastes, en un mot, mettre en lumière ou laisser dans l’ombre