Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/333

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leur est échue contre toute apparence, qu’au regret d’être témoins de votre élévation ; et plus volontiers mettraient-ils pour vous perdre la liberté en péril que de voir par vos mains le peuple romain élevé au faîte de la grandeur. Voilà donc ce qui vous fait une loi d’examiner avec la plus profonde attention comment vous pourrez établir et consolider votre ouvrage. Je n’hésiterai point, de mon côté, à vous exposer le résultat de mes réflexions, sauf à votre sagesse d’adopter ce qui vous paraîtra juste et convenable.

V. La république fut toujours divisée en deux classes, je le pense, et la tradition de nos pères en fait foi : les patriciens et les plébéiens. Aux patriciens fut primitivement dévolue l’autorité suprême ; mais dans le peuple n’en résidait pas moins la force réelle. Aussi y eut-il souvent scission dans l’État ; et la noblesse ne cessa de perdre de ses privilèges, tandis que les droits du peuple s’étendaient. Ce qui faisait que le peuple vivait libre, c’est qu’il n’y avait personne dont le pouvoir fût au-dessus des lois : ce n’étaient ni les richesses, ni l’orgueil, mais la considération et la valeur, qui mettaient le patricien au-dessus du plébéien. Dans son champ ou à l’armée, le moindre citoyen, ne manquant jamais de l’honnête nésessaire, se suffisait à lui-même, suffisait à la patrie. Mais, lorsque, chassés peu à peu de leur patrimoine (12), les citoyens eurent été réduits par l’oisiveté et la misère à n’avoir plus de demeure assurée, ils commencèrent à compter sur les richesses d’autrui, et à faire de leur liberté et de la chose publique un trafic honteux. Ainsi, peu à peu, le peuple, qui était souverain et en possession de