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CONJURATION DE CATILINA

vos tableaux, ont toujours été d’un plus grand prix que la république ; si ces biens, de quelque nature qu’ils soient, objets de vos tendres attachements, vous voulez les conserver ; si à vos jouissances vous voulez ménager un loisir nécessaire, sortez enfin de votre engourdissement, et prenez en main la chose publique. Il ne s’agit aujourd’hui ni des revenus de l’État ni d’outrages faits à nos alliés : c’est votre liberté, c’est votre existence, qui sont mises en péril.

Souvent, sénateurs, ma voix s’est élevée dans cette assemblée ; souvent le luxe et l’avarice de nos citoyens y furent le sujet de mes plaintes et, pour ce motif, je me suis fait beaucoup d’ennemis : car, moi qui ne me serais jamais pardonné même la pensée d’une faute, je ne pardonnais pas facilement aux autres les excès de leurs passions. Mais, bien que vous tinssiez peu de compte de mes représentations, la république n’en était pas moins forte : sa prospérité compensait votre insouciance. Aujourd’hui il ne s’agit plus de savoir si nous aurons de bonnes ou de mauvaises mœurs, si l’empire romain aura plus ou moins d’éclat et d’étendue, mais si toutes ces choses, quelles qu’elles puissent être, nous resteront ou tomberont avec nous au pouvoir de nos ennemis.

Et l’on viendra ici me parler de douceur et de clémence ! Il y a déjà longtemps que nous ne savons plus appeler les choses par leur nom : pour nous, en effet, prodiguer le bien d’autrui s’appelle largesse ; l’audace du crime, c’est courage : voilà pourquoi la république est au bord de l’abîme. Que l’on soit (j’y consens, puisque ce sont là nos mœurs) généreux des richesses de nos alliés, compatissant pour les voleurs publics ;