Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/233

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
179
CONJURATION DE CATILINA

VII. Alors chacun à l’envi put s’élever et déployer tous ses talents. Aux rois, en effet, les méchants font moins ombrage que les gens de bien (18), et le mérite d’autrui est pour eux toujours redoutable. On croirait à peine combien il fallut peu de temps à Rome devenue libre pour se rendre puissante, tant s’était fortifiée en elle la passion de la gloire ! La jeunesse, dès qu’elle était en état de supporter les travaux guerriers, apprenait l’art militaire dans les camps mêmes et par la pratique. C’était pour de belles armes, pour des coursiers de bataille, et non pour des courtisanes et des festins, qu’on les voyait se passionner. Pour de tels hommes il n’y avait point de fatigue extraordinaire (19), point de lieu d’un accès rude ou difficile, point d’ennemi redoutable sous les armes ; leur courage avait tout dompté d’avance.

Mais une lutte de gloire encore plus grande s’était établie entre eux : c’était à qui porterait les premiers coups à l’ennemi, escaladerait une muraille, et par de tels exploits fixerait sur lui les regards : là étaient pour eux la vraie richesse, la bonne renommée, la vraie noblesse. Insatiables d’honneur, ils étaient libéraux d’argent ; ils voulaient une gloire sans bornes et des richesses médiocres. Je pourrais rappeler dans quels lieux le peuple romain, avec une poignée d’hommes, a défait les armées les plus nombreuses, et combien il a pris de villes fortifiées par la nature ; mais ce récit m’entraînerait trop loin de mon sujet.

VIII. Oui, assurément, la fortune exerce sur toutes choses son influence (20) : son caprice, plutôt que la vérité, dispense la