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SALLUSTE.

furent réunis dans les mêmes murs, bien que différents d’origine, de langage et de manière de vivre, ils se confondirent avec une incroyable et merveilleuse facilité. Mais, lorsque l’État formé par eux eut acquis des citoyens, des mœurs, un territoire, et parut avoir un certain degré de force et de prospérité, l’envie, selon la destinée presque inévitable des choses humaines, naquit de leur puissance. Les rois des nations voisines les attaquent ; peu de peuples alliés leur prêtent secours ; les autres, frappés de crainte, se tiennent loin du péril ; mais les Romains, au dedans comme au dehors, toujours en éveil, s’empressent, se disposent, s’exhortent l’un l’autre, vont au devant de l’ennemi, et de leurs armes couvrent leur liberté, leur patrie, leurs familles ; puis, le danger repoussé par le courage, ils volent au secours de leurs alliés, de leurs amis, et, en rendant plutôt qu’en recevant des services (16), se ménagent des alliances.

Un gouvernement fondé sur les lois, monarchique de nom, les régissait. Des hommes choisis, dont le corps était affaibli par les années, mais l’âme fortifiée par l’expérience, formaient le conseil public : l’âge, ou la nature de leurs fonctions, leur fit donner le nom de Pères. Dans la suite, lorsque l’autorité des rois, qui n’avait été créée que pour la défense de la liberté et l’agrandissement de l’État, eut dégénéré en une orgueilleuse tyrannie, la forme du gouvernement changea ; un pouvoir annuel et deux chefs (17) furent établis. Par cette combinaison l’on se flattait de préserver le cœur humain de l’insolence qu’inspire la continuité du pouvoir.