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CONJURATION DE CATILINA

pourrait croire ; esprit audacieux, rusé (9), fécond en ressources, capable de tout feindre et de tout dissimuler ; convoiteux du bien d’autrui, prodigue du sien, fougueux dans ses passions, il avait assez d’éloquence, de jugement fort peu : son esprit exalté (10) méditait incessamment des projets démesurés, chimériques, impossibles. On l’avait vu, depuis la dictature de L. Sylla (11), se livrer tout entier à l’ambition de s’emparer du pouvoir : quant au choix des moyens, pourvu qu’il régnât seul, il ne s’en souciait guère. Cet esprit farouche était chaque jour plus tourmenté par l’embarras de ses affaires domestiques et par la conscience de ses crimes : double effet toujours plus marqué des désordres dont je viens de parler. Enfin il trouva un encouragement dans les mœurs dépravées d’une ville travaillée de deux vices, les pires en sens contraire, le luxe et l’avarice (12).

Le sujet même (13), puisque je viens de parler des mœurs de Rome, semble m’inviter à reprendre les choses de plus haut, à exposer brièvement les principes de nos ancêtres, la manière dont ils ont gouverné la république au dedans comme au dehors, l’état de splendeur où ils l’ont laissée ; puis par quel changement insensible (14), de la plus florissante et de la plus vertueuse, elle est devenue la plus perverse et la plus dissolue.

VI. La ville de Rome, si j’en crois la tradition, fut fondée et habitée d’abord par les Troyens fugitifs (15), qui, sous la conduite d’Énée, erraient sans avoir de demeure fixe : à eux se joignirent les Aborigènes, race d’hommes sauvages, sans lois, sans gouvernement, libres et indépendants. Dès qu’une fois ils