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comme s’il s’agissait de haines irréconciliables. Il y a guerre entre les aigles et les serpents, entre les corneilles et les hiboux, entre les mésanges et les chardonnerets. C’est au point que leur sang, dit-on, ne se mêle pas lorsque ces oiseaux sont tués. Vous auriez beau le confondre, il se sépare bientôt pour prendre une direction contraire. Il est probable que la haine violente du lion contre le coq et de l’éléphant contre le pourceau est le résultat de la crainte[1] : car on est porté naturellement à détester ce que l’on redoute. Ainsi donc il y a ce premier caractère de différence entre la haine et l’envie, que la première existe chez les animaux et qu’ils ne sont pas susceptibles de la seconde.

5. Continuons. L’envie n’est jamais produite par un sentiment de justice : car celui qui est heureux ne fait de tort à personne, et c’est pourtant son bonheur qui excite l’envie. La haine, au contraire, est souvent légitime. Cela est si vrai, que nous appelons dignes eux-mêmes d’être haïs ceux qui ne fuient pas les gens haïssables et qui n’éprouvent pas à leur égard de la répugnance et de l’aversion. En voulez-vous une grande preuve ? C’est que quelques-uns confessent qu’ils haïssent bien des gens, et personne ne déclare qu’il soit envieux. La haine contre les méchants est au nombre des sentiments loués. On faisait l’éloge du neveu de Lycurgue, nommé Charillus, qui régnait à Sparte, et l’on vantait son indulgence et sa douceur. L’autre roi, son collègue, répondit : « Et comment peut-il être bon, lui qui n’a pas même de sévérité contre les méchants[2] ! » Pour nous donner une idée de la laideur corporelle de Thersite, le poëte nous la retrace en détail et au moyen de plusieurs circonlocutions, mais c’est fort brièvement qu’il caractérise la noirceur de cette âme, et par ce seul trait :

« Il haïssait surtout Achille ainsi qu’Ulysse[3] ».

Car il y a excès de perversité à être l’ennemi de ceux qui

  1. Ricard précise plus que ne fait le texte : « la peur qu’ils ont du cri de ces animaux »
  2. Cité ailleurs, vol. i, p. 526.
  3. Iliade, II, v. 220