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à aimer. Mais comme les ressemblances ne constituent pas l’identité aussi nettement que les dissimilitudes établissent la différence, examinons ces dissimilitudes, attachons-nous à leur recherche en remontant à l’origine des deux passions.

2. D’où provient en nous la haine ? De l’opinion où nous sommes, que celui que nous haïssons est méchant soit à l’égard de tout le monde soit envers nous-mêmes. Car, d’un côté, nous sommes naturellement disposés à haïr les gens dont nous croyons que l’injustice nous a été préjudiciable, et, d’autre part, les hommes que nous savons injustes et méchants nous choquent et nous déplaisent. L’envie, au contraire, s’attache simplement à ceux qui paraissent être dans la prospérité. Il semble donc que l’envie soit illimitée dans ses aversions[1], de même que des yeux malades sont blessés de tout ce qui jette un vif éclat. La haine, au contraire, est circonscrite, attendu que les objets sur lesquels elle s’exerce sont toujours particuliers et personnels.

3. En second lieu, le sentiment de la haine se produit même contre des animaux privés de raison. Il y a des gens qui haïssent les chats, les cantharides, les crapauds, les serpents. Germanicus ne pouvait supporter ni le chant ni la vue d’un coq. Les mages, en Perse[2], tuaient les rats[3], d’abord par aversion personnelle, et ensuite parce qu’ils se figuraient que leur Dieu avait ces animaux en horreur. Pareillement, en Arabie et en Éthiopie on les déteste. Mais c’est contre l’homme seul que l’homme éprouve de l’envie.

4. Il n’y a pas d’apparence que les bêtes sauvages soient animées de ce sentiment les unes contre les autres. Elles n’ont point idée du bonheur ou du malheur d’autrui, elles ne sont pas sensibles à la gloire ou au déshonneur : or ce sont là les motifs qui exaspèrent le plus l’envie. Mais elles se haïssent, se détestent entre elles et se combattent,

  1. Le texte dit seulement : « soit illimitée. » Nous avons craint d’être trop peu clair.
  2. Amyot : « les Sages des Perses, qu’ils appelaient Magi. »
  3. Amyot : « les rats et les souris. » Reiske veut qu’on lise de manière à traduire « les pourceaux. »