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de la mauvaise honte.

choris étant d’un caractère farouche, Isis lui envoya un serpent qui s’enroulait autour de la tête du monarque et le couvrait de son ombre afin qu’il rendît la justice avec équité. Mais la mauvaise honte, partage des hommes faibles et pusillanimes, n’a jamais l’énergie suffisante pour refuser ou contredire. Sur le tribunal où ils siégent elle leur dicte des arrêts injustes. Elle leur ferme la bouche dans les conseils ; elle les oblige en bien des circonstances à parler et à agir contre leur sentiment. La volonté d’un méchant suffit pour maîtriser et dominer toujours de pareils hommes, parce que l’effronterie impose constamment à la timidité. La mauvaise honte, semblable aux terrains bas et mal consistants, ne peut repousser ou détourner aucune rencontre : elle laisse toujours accès en elle aux actes et aux sentiments les plus honteux. Elle est encore une insuffisante gardienne du jeune âge, selon le mot de Brutus, qui disait, qu’on doit avoir mal usé de sa jeunesse quand on ne sait rien refuser. La mauvaise honte est également une bien imparfaite garantie pour la chambre nuptiale et pour le gynécée : comme le montre, dans Sophocle[1], une femme qui, se repentant de sa faute, dit à son complice :

Pourquoi m’as-tu séduite, abusée et perdue ?

Cette honte va la première au-devant de l’intempérance, et elle livre à qui veut les attaquer toutes les places fortes de l’âme, restées sans défense, sans barrière et sans obstacle. Les largesses gagnent les esprits corrompus ; mais la persuasion, en excitant la mauvaise honte, s’empare souvent des natures les plus honnêtes. Je passe sous silence les brèches que ce dernier sentiment fait dans les fortunes. On se porte caution malgré soi, et tout en vantant la maxime[2] : « Engage-toi : le repentir[3] suivra de près, » on n’a pas le courage de s’y conformer quand il faut agir.

  1. Amyot : « en Euripide. » (?)
  2. Amyot : « ceste sentence (dorée du temple d’Apollon). »
  3. M. à m. Até, c’est-à-dire la vengeance personnifiée. Amyot : « qui répond paye. » Cette sentence se retrouve encore plus haut, p. 609, et vol. I, p. 391.