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de la mauvaise honte.

toute fermeté et ont sacrifié l’honnête, parce qu’ils ne pouvaient supporter qu’on parlât mal d’eux.

2. On ne doit pas fermer l’œil sur une semblable faiblesse. Mais il n’y a pas lieu non plus d’approuver les dispositions hardies et résolues de ces gens

Dont la basse impudeur, comme celle du chien,
Nous rappelle Anaxarque, et ne respecte rien.

Il faut tempérer sagement ces deux affections l’une par l’autre : ôter à l’impudence sa roideur inflexible, et à la fausse honte sa trop grande susceptibilité. Un tel tempérament, du reste, est difficile à obtenir ; et la répression de ce double excès est souvent dangereuse. Car, comme le cultivateur qui veut détruire une plante sauvage et stérile ; l’attaque du premier coup avec la bêche, sans ménagement, pour l’extirper jusqu’à la racine, ou bien y met le feu et la brûle, tandis que s’il s’agit d’une vigne à tailler, d’un pommier ou d’un olivier qui demande une opération, c’est avec ménagement qu’il y porte la main, craignant d’amputer quelque chose de ce qui est sain[1] ; de même, quand le philosophe veut extirper du cœur d’un jeune homme l’envie, la soif excessive des richesses, l’amour désordonné des plaisirs, toutes plantes stériles dont la nature ne saurait être adoucie, il ne craint pas de faire couler le sang et de peser bien fort. Les incisions qu’il pratique sont profondes, et laissent de larges cicatrices. Mais si c’est à une partie délicate et tendre de l’âme qu’il veut appliquer les remèdes offerts par la raison, s’il s’agit, par exemple, de guérir la mauvaise honte qui dépare cette âme, le philosophe use de précautions, dans la crainte de porter en même temps atteinte à la bonne honte : car les nourrices, en voulant essuyer et rendre propres les enfants, leur arrachent souvent la peau et les meurtrissent. Aussi ne faut-il pas tout à fait effacer la mauvaise honte sur le visage des jeunes gens, ce qui les rendrait effrontés et sans pudeur. De même que quand

  1. Le texte dit : « de peur d’aveugler quelque chose de bien portant. »