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de la mauvaise honte.

souvent commettre les mêmes fautes que l’impudence. Seulement, la première s’afflige et se repent de ses erreurs, au lieu de s’y complaire comme la seconde. L’impudent n’éprouve aucune douleur en présence de ce qui est déshonnête. Au contraire, l’homme trop accessible à la mauvaise honte se sent troublé même devant ce qui n’a que l’apparence du mal. En effet, la mauvaise honte n’est autre chose que la pudeur portée à l’excès. C’est pourquoi on lui a donné le nom de « dysopie », pour indiquer que le visage lui-même se bouleverse aussi bien que l’âme, et qu’il perd contenance. De même qu’on appelle « catephie[1] » le découragement qui nous fait tenir les yeux baissés, de même cette réserve excessive, qui empêche de regarder en face les gens à qui l’on a besoin de parler, a reçu le nom de dysopie. Voilà pourquoi Démosthène[2] disait que l’impudent a dans les yeux non pas des prunelles, mais des courtisanes[3]. À son tour l’homme qui pousse la honte à l’extrême, laisse trop voir par son regard sa faiblesse et sa pusillanimité, bien qu’il essaye de donner le change en appelant pudeur la facilité avec laquelle il cède aux impudents. Caton disait : « J’aime mieux les jeunes gens qui rougissent que ceux qui pâlissent. » C’était avec raison qu’il habituait et enseignait à craindre plutôt d’être blâmé que d’être convaincu, et à fuir la suspicion plutôt que le péril. Toutefois il faut se défendre de l’excès en cette crainte du blâme et en cette appréhension de tout reproche. Car plus d’une fois des jeunes gens qui ne redoutaient pas moins de passer pour coupables que de l’être réellement[4], ont perdu

  1. Mot à mot : « situation penchée. »
  2. Le texte dit simplement « l’orateur » ; et, avec Amyot, nous entendons l’orateur par excellence. Ricard : « un orateur. »
  3. Amyot est bien plus énergique à traduire ce dernier mot. De plus, selon son habitude il ajoute, dans le texte même, un commentaire : « se jouant en l’équivoque de ce nom Cora, qui signifie une pucelle, et la prunelle de l’œil. »
  4. Tous les traducteurs sans distinction, latins comme français, semblent avoir fait ici un contre-sens. Plutarque rapproche non pas le châtiment et la faute, mais l’opinion publique et la faute, ce qui est bien différent. On ne doit donc pas entendre, comme Amyot et autres : « redoubtans autant d’estre accusez comme d’estre chastiez, » Pour être exact Amyot aurait dû dire : « … comme d’être coupables. » C’est bien là le sens ordinaire de κακῶς παθεῖν.