Page:Œuvres complètes de Plutarque - Œuvres morales et œuvres diverses, tome 2, 1870.djvu/653

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raisonnable ne s'abstient d'un bon morceau par amour des bons morceaux, de vin par amour du vin. Au contraire on voit des gens s'abstenir de leurs biens précisément parce qu'ils sont avides de richesses. N'est-ce pas là une passion voisine de la folie, une passion bien déplorable ? Quoi ! On ne se couvrira pas d'un manteau parce qu'on gèle de froid ! On se refusera le pain parce qu'on est affamé ! On n'utilisera pas ses trésors parce qu'on est insatiable d'argent ! C'est là un des maux dont parle Thrasonide :

« Je les ai là, chez moi, je puis en profiter, J'en brûle, qui plus est,... Ne diriez-vous pas un amant passionné ?... et n'en veux point tâter. J'enferme tout, je mets tout sous le scellé. Quand j'ai fait mes comptes avec mes banquiers et mes gens d'affaires, je passe à autre chose : je m'occupe de mes recettes et de mes rentrées. Ce sont de perpétuelles contestations avec mes intendants, mes fermiers, mes débiteurs. Apollon, en sais-tu qui soit plus malheureux ? Quel supplice d'amant serait plus douloureux ? »

[5] Sophocle, interrogé s'il pouvait encore avoir commerce avec une femme, répondit : « Ami, parlez mieux. Je suis devenu libre, et la vieillesse m'a débarrassé de tyrans furieux et cruels. » Il est de bon goût, en effet, quand on a quitté l'âge des plaisirs, d'en quitter aussi le goût, quoi qu'en dise Alcée, qui prétend que ni hommes ni femmes ne peuvent se dérober à leur violence. Il n'en est pas de même pour l'amour des richesses. C'est comme un despote exigeant et impitoyable. Il force d'acquérir, et il défend d'user. II excite le désir, et il interdit la jouissance.