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annonce qu'il a quelque chose de nouveau à vous dire, répondez-lui : « J'aimerais mieux que ce fût quelque chose de profitable et d'utile. » Un jour à Rome je faisais une leçon publique. Rusticus, celui que Domitien fit périr depuis parce que le tyran était jaloux de cette gloire, se trouvait au nombre des auditeurs. Survint un soldat qui, traversant le groupe des personnes présentes, lui remit une lettre de l'empereur. Il se fit un grand silence. Je m'interrompis moi-même, afin que Rusticus prît connaissance de la lettre. Il n'y voulut pas consentir. Il ne l'ouvrit que quand j'eus terminé ma leçon et que la séance fut levée ; ce qui donna lieu à tous d'admirer la gravité du personnage. Mais lorsque nourrissant, même de choses permises sa curiosité, on l'a rendue forte et puissante, il n'est plus facile de maîtriser la fougue avec laquelle, par suite de l'habitude, elle s'élance vers les choses défendues. Dès lors on ouvre, sans en avoir le droit, les lettres de ses amis ; on s'ingère dans les assemblées secrètes ; on s'arrange de manière à devenir spectateur de ce qu'il n'est pas licite de voir ; on pénètre dans des lieux prohibés ; on cherche à être instruit de ce que font et ce que disent les souverains.

[16] Les tyrans doivent, par nécessité, tout connaître. Mais rien pourtant ne les rend plus odieux que cette race de délateurs nommés « oreilles du prince. » Le premier qui eut des espions à son service fut Darius le Jeune. Il se défiait de lui-même ; il soupçonnait, il redoutait tout le monde. Les Denys en introduisirent à Syracuse d'autres, qu'on appelait les Prosagogides. Aussi, quand la révolution éclata ceux-ci furent-ils les premiers que saisirent les Syracusains pour les faire périr sous le bâton. La classe des calomniateurs appartient également à la race des curieux : c'est la même famille. Les calomniateurs cherchent si quelqu'un a médité ou accompli quelque