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un sentiment de haine et d'horreur. Aussi doit-on trouver fort judicieuse la distinction établie dans ces vers de Sophocle :

« LE MESSAGER. Lequel est déchiré, ton oreille ou ton cœur ?
CRÉON. Prétends-tu donc fixer un siége à ma douleur ?
LE MESSAGER. Le fait a déchiré ton cœur ; moi, ton oreille ».

Non moins que les auteurs mêmes du mal, ceux qui nous l'apprennent nous affligent. Cependant rien n'arrête, rien ne maîtrise la langue une fois qu'elle est débordée. À Lacédémone on s'aperçut un jour que le temple de la déesse Chalcioeque avait été pillé, et l'on n'avait rien trouvé au dedans si ce n'est une bouteille vide. La foule était accourue. On ne savait que résoudre. Un de ceux qui se trouvaient là prit la parole : « Si vous voulez, dit-il, je vous ferai connaître quelle pensée me suggère cette bouteille. Je suppose, continua-t-il, que les auteurs de ce sacrilège, avant de tenter une si périlleuse entreprise, avaient premièrement avalé de la ciguë et qu'ils s'étaient munis de vin. Ils se proposaient, s'ils échappaient, de boire le vin pur, lequel aurait pour effet d'éteindre et de neutraliser le poison et de s'esquiver sans encombre ; si au contraire ils eussent été pris, la ciguë aurait agi avant qu'on les appliquât à la torture, et ils seraient morts doucement et sans souffrance. » Quand cet homme eut fini, son interprétation si compliquée et si ingénieuse fit voir clairement qu'il parlait non par conjecture, mais en connaissance de cause. On l'entoura. De tous les côtés on lui adressa mille questions : « Qui es-tu ? Qui te connaît ? D'où sais-tu cela ? » Bref, ainsi poussé à bout il confessa qu'il était un de ceux qui avaient pillé le temple.

N'est-ce pas ainsi que se firent prendre les assassins d'Ibycus ? Pendant qu'ils étaient assis au théâtre, des grues ayant tout à coup passé en l'air, ils se disaient tout bas en