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[10] Personne au monde s'est-il réservé le droit de reproche contre celui qui, ayant été par lui fait son confident, n'a pas gardé le silence ? S'il fallait que la chose restât inconnue, on a eu tort de la dire à un autre. Tirer votre secret de vous-même pour le déposer ailleurs, c'est recourir à la discrétion d'un étranger en renonçant à la vôtre. Quand il agit de même à son tour, il n'y a que justice dans le mécompte que vous éprouvez. Si le confident vaut mieux que vous, vous êtes sauvé ; mais vous ne deviez pas vous y attendre, et vous avez trouvé quelqu'un qui a été plus digne de votre confiance que vous-même. Il est mon ami, se dit-on. Fort bien : mais à son tour il a un ami auquel il se fiera comme vous vous êtes fié à lui. Ce nouveau dépositaire se fiera à un troisième. Voilà donc le secret qui se répand, qui se divulgue, parce que des bavards ont parlé. De même que l'unité ne sort point de ses bornes et qu'elle reste toujours ce qu'elle est, comme l'indique son nom tandis que le nombre deux est un principe indéfini de multiplication, car dès qu'on le double il sort aussitôt de lui-même, et commence une progression sans limite ; de même le secret qui reste dans le cœur d'une première personne est bien réellement un secret ; mais s'il passe à une seconde, il prend le caractère de bruit public. « Les paroles sont ailées », dit le poète. Un oiseau qui s'envole de nos mains n'est pas facile à ressaisir. Un propos qui s'échappe d'une bouche ne peut être repris et gardé. Il s'élance

« En manœuvrant d'une aile agile, »

et se répand de bouche en bouche. Qu'un vaisseau soit emporté par l'impétuosité des vents, on s'en rend le maître en arrêtant sa marche au moyen des câbles et des ancres. Mais dès que la parole s'est en quelque sorte échappée du port, il n'y a plus à compter sur une rade, sur la puissance d'une ancre. Elle s'élance avec grand bruit et grand fracas,