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Athènes un vieillard qui avait la force de se taire pendant un festin. » Tant il est vrai que le silence a quelque chose de profond, de mystérieux et de sobre ! L'ivresse, au contraire, est bavarde ; et c'est parce qu'elle manque de jugement et de prudence qu'elle se répand en un vain flux de paroles.

Les philosophes l'ont définie en disant : « C'est la sottise avinée. » Ainsi on ne blâme pas l'homme qui boit, si en buvant il garde le silence. C'est le sot babil qui change le vin en ivresse. Un homme ivre parle trop à table ; mais c'est partout que le bavard parle trop, sur la place publique, au théâtre, à la promenade, le jour, la nuit. Près du chevet d'un malade il est plus fatigant que la maladie ; dans une navigation il est plus désagréable que le mal de mer. Ses éloges sont plus pénibles que ne le seraient des réprimandes. On préférera la conversation de méchants qui seront discrets à celle d'honnêtes gens qui seront bavards. Dans Sophocle, Nestor, voulant calmer par ses paroles l'emportement d'Ajax, lui dit avec un accent qui part du cœur :

« Tes discours sont mauvais, ta conduite est loyale :
Je ne puis te blâmer ».

Mais au bavard nous ne tenons pas un semblable langage. Tout ce qu'il peut y avoir d'acceptable dans ses actes, l'intempérance de sa parole le gâte et l'anéantit.

[5] Lysias ayant écrit un plaidoyer pour un homme qui avait un procès, lui remit ce travail. Après l'avoir lu plusieurs fois, l'autre revint chez Lysias et se montra complétement découragé. Il lui dit qu'à la première lecture il avait trouvé le plaidoyer admirable, mais que quand il l'avait eu lu une seconde et une troisième fois, la pièce lui avait semblé privée de toute force et de tout effet. Lysias se mit à rire : « Eh quoi ! lui dit-il, est-ce que c'est plus d'une fois que tu comptes le réciter devant les juges ? » Or songez à la persuasion et à la grâce qui caractérisaient Lysias ; car il est du nombre de ceux de qui je dirai aussi,

« Que des Muses il eut les faveurs en partage ».