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se tient en garde tout homme qui se respecte et qui a de la convenance. En effet, si, comme le disent quelques-uns, la colère habite porte à porte avec la folie, la colère demeure sous le même toit que l'ivresse. Disons mieux : l'ivresse est elle-même une folie, moins prolongée, il est vrai, mais qui, au point de vue du libre arbitre, présente bien plus de gravité puisqu'elle est volontaire. Or de tous les excès de l'ivresse, on n'en blâme aucun plus énergiquement que le flux intempérant et désordonné des paroles.

« Le vin même du sage égare les esprits,
Lui fait aimer le chant, les danses et les ris ».

Qu'y a-t-il de mal ? Le chant, les ris, la danse, rien de tout cela n'est sans grâce.

« Mais dans le vin on dit ce que l'on devrait taire»  ;

et c'est là ce qui devient dangereux et funeste. Qui sait ? Peut-être Homère a-t-il voulu résoudre la question élevée par les philosophes sur la différence qu'il y a entre l'usage du vin et de l'ivresse. L'usage du vin rend gai, l'ivresse rend bavard. Car on dit proverbialement : « Ce qui est dans la pensée de l'homme sobre est sur les lèvres de l'homme ivre. » Bias dans un repas étant silencieux, certain bavard se mit à le railler de sa stupidité. Serait-ce un homme stupide, lui dit Bias, qui dans un festin resterait sans rien dire ? À Athènes un personnage offrait un banquet à des envoyés royaux, et, à leur grande satisfaction, il s'était fait un point d'honneur de réunir avec eux ce qu'il y avait de philosophes de la ville. Ceux-ci prirent tous part à la conversation, payant ainsi leur écot. Zénon seul ne parlait pas.

Les étrangers, avec une bienveillance extrême, lui portèrent cependant une santé : « Zénon, lui dirent-ils, que devrons-nous dire sur votre compte à notre prince ? » Il leur répondit : « Ne lui dites que ceci : Nous avons vu dans