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SUR LE ΕΙ

manière indépendante et à elles propre ; que dès le principe l’Ε fut classé la seconde des voyelles, de même que le soleil, mis après la lune, est la seconde des planètes. Or tous les Grecs, pour ainsi parler, s’accordent à dire qu’Apollon et le soleil ne font qu’un. « Mais, ajoutait cet assistant, c’est tout à fait là une explication de parades et de tréteaux. De plus Lamprias, ce semble, ne s’est pas aperçu qu’il soulevait les prêtres du temple contre son assertion. Tout ce qu’il a dit n’est connu d’aucun habitant de Delphes ; tandis qu’il y a une opinion accréditée, répandue, et mise en circulation par les habitants eux-mêmes. Ils pensent que ce n’est ni la forme visible, ni le son de cette voyelle, mais le sens[1] de la lettre seul, qui renferme quelque chose de symbolique. »

5. « C’est qu’en effet d’après l’opinion des Delphiens, dit alors Nicandre[2] qui prit la parole, cette voyelle est le passeport, la formule dont on se sert quand on se présente devant le Dieu. Elle est la première que l’on mette dans toutes les questions que l’on fait sur les éventualités de chaque instant. Ainsi, on demande à l’oracle : « Si l’on sera vainqueur, si l’on se mariera, si le moment est bon pour se mettre en mer, si l’on doit labourer, si l’on doit entreprendre tel voyage. » Le Dieu, suffisamment éclairé par lui-même, envoie ainsi promener les dialecticiens qui prétendent que cette particule si et la proposition dont on la fait suivre ne présentent aucun sens. Il comprend bien, lui, la portée de toutes les questions subordonnées à ce mot si, et il les accepte comme des faits bien caractérisés. Or, de même que si nous est propre pour interroger le Dieu comme devin, de même qu’il nous est commun pour le prier comme dieu, de même aussi l’on pense que cette syllabe renferme un sens optatif, non moins qu’un sens interrogatif. Chaque personne qui formule un vœu a coutume de dire : « Si le bonheur voulait ! » et Archiloque s’écrie :

Si je touchais la main de ma Néobulé !

  1. M. à m. « le nom ».
  2. Amyot ajoute : « qui estoit là présent ».