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DU TEMPLE DE DELPHES.

de lui-même à l’activité curieuse et intelligente des esprits, en même temps qu’en ces derniers il met un vif désir au moyen duquel il les pousse à la recherche de la vérité. C’est ce qui est évident par des exemples nombreux, et entre autres par ce ΕΙ qui a été consacré dans son temple[1].

Il n’est pas vraisemblable, en effet, que ce soit le hasard, ou bien la chance des lettres, tirées pour ainsi dire au sort, qui ait suffi pour placer cette inscription sur le fronton du temple, où elle prend le caractère d’une offrande religieuse et d’un objet de contemplation. Il est plus probable que les prêtres du Dieu, après avoir au début profondément médité[2], adoptèrent cette inscription parce qu’ils y découvrirent une signification particulière et importante, ou parce qu’ils en firent le symbole de quelque autre dogme d’une grande valeur. Or, plus d’une fois, et en maintes autres circonstances, lorsque cette question m’avait été proposée dans l’école, je l’avais doucement déclinée et j’avais passé outre. Mais dernièrement je fus surpris par mes propres fils dans un entretien où je tâchais de faire à des étrangers les honneurs de ma science à cet égard. Comme ces étrangers devaient quitter Delphes aussitôt, il n’aurait pas été décent de les traîner en longueur, ni de me refuser au désir si pressant qu’ils avaient de m’en entendre dire quelque chose. Je les fis donc asseoir dans le voisinage du temple[3] ; puis, à la suite de plusieurs demandes échangées réciproquement entre nous, le lieu et l’objet même de la conversation me remirent en mémoire ce que j’avais entendu dire autrefois à Ammonius et à quelques autres, lors du voyage de l’empereur Néron à Delphes, cette question y ayant été pareillement soulevée.

2. Comme le dieu n’est pas moins philosophe[4] qu’il n’est prophète, nous pensions tous alors qu’Ammonius avait rai-

  1. L’inscription ne se composait que de la lettre Ε ; mais il importe de savoir que les Grecs la prononçaient ΕΙ. C’est à ce double point de vue qu’il est question ici tantôt de Ε, lettre ou bien nombre 5, tantôt de ΕΙ, tour à tour conjonction, si, ou verbe substantif, tu es.
  2. Amyot entend : « que les premiers hommes doctes qui ont eu dès le commencement la charge de ce temple ».
  3. Amyot : « dedans le temple ».
  4. Amyot ajoute : « et savant ».