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faire grande attention pour ne pas demander soi-même à son insu des maux, en croyant que ce sont des biens, et ne pas avoir, quelque temps après, à changer de ton, selon ton expression, et à rétracter le vœu qu’on avait fait d’abord.

SOCRATE

N’est-ce pas parce qu’il en savait plus que nous que le poète que j’ai cité au commencement de notre discussion recommandait de prier les dieux d’éloigner les maux, quand même on les demanderait ?

ALCIBIADE

Il me le semble.

SOCRATE

C’est une prière semblable, Alcibiade, que les Lacédémoniens font en toute circonstance et pour eux et pour l’État, soit par imitation de ce poète, soit par suite de leurs propres réflexions : eux aussi demandent aux dieux de leur donner l’honnête avec l’utile. Jamais personne ne les entendra demander davantage. C’est pourquoi jusqu’à présent, ils ont été aussi heureux qu’aucun autre peuple et, s’il leur est arrivé quelques échecs, ce n’est pas du moins à cause de leur manière de prier ; car les dieux sont libres, je pense, de donner ce qu’on leur demande et de donner le contraire.

XII. — Mais je veux aussi te raconter autre chose que j’ai entendu dire à des vieillards. Une querelle s’étant élevée entre les Athéniens et les Lacédémoniens, il arrivait toujours, quand il se livrait une bataille, soit sur terre, soit sur mer, que notre ville était malheureuse et ne pouvait jamais remporter la victoire. Alors les Athéniens, mortifiés de ce résultat et embarrassés de trouver un moyen de détourner les maux qui les accablaient, délibérèrent, et il leur parut qu’ils n’avaient rien de mieux à faire que d’envoyer interroger Ammon et de lui demander en outre pourquoi les dieux donnaient la victoire aux Lacédémoniens plutôt qu’à eux. « C’est nous, dirent-ils, qui faisons les sacrifices les plus nombreux et les plus beaux de toute la Grèce ; nous avons