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ALCIBIADE

Je ne le voyais pas tout à l’heure, mais je le vois à présent.

SOCRATE

Il faut donc que l’État et l’âme qui veut vivre comme il faut s’attachent à cette science absolument comme un malade à son médecin ou celui qui veut naviguer en sûreté à un pilote. Car, sans cette science, plus le vent de la fortune est favorable pour l’acquisition des richesses, la force corporelle ou quelque autre avantage du même genre, plus grandes, semble-t-il, sont nécessairement les fautes qui en résultent. Celui qui, comme on dit, est universel dans les sciences et dans les arts, mais qui est dénué de cette science, et se laisse conduire par chacune des autres sciences, ne sera-t-il pas véritablement le jouet des fureurs de la tempête, comme il le mérite, puisque, comme je m’imagine, il navigue toujours sans pilote en haute mer, n’ayant pour faire sa course qu’un court espace de vie ? en sorte qu’ici aussi le mot du poète me semble avoir son application, quand il dit de certain personnage qu’ « il connaissait beaucoup de métiers, mais qu’il les connaissait tous mal, 8 » ajoutait-il.

ALCIBIADE

Comment le mot du poète peut-il s’appliquer ici, Socrate ? Pour moi, je ne vois pas qu’il se rapporte en quoi que ce soit à notre sujet.

SOCRATE

Il s’y rapporte, et même exactement. Mais ce poète, mon excellent ami, comme presque tous les autres poètes, parle par énigmes ; car toute poésie est naturellement énigmatique et il n’appartient pas au premier venu de la comprendre. Outre sa nature énigmatique, quand le poète est un homme envieux et qui veut, non pas nous découvrir sa sagesse, mais la cacher le plus possible, alors c’est une affaire extrêmement ardue que de pénétrer la pensée de chacun d’eux 9. Car tu ne penses pas, n’est-ce pas ? qu’Homère, le plus divin et le plus sage des poètes,