Page:Œuvres complètes de Platon (Chambry), tome 1.djvu/50

Cette page a été validée par deux contributeurs.

tout cas, Alcibiade, il semble bien que le bon sens ne manquait pas à ce poète, qui, ayant, comme je pense, des amis insensés et les voyant faire et demander aux dieux des choses qu’ils auraient mieux fait de négliger, mais qui leur paraissaient bonnes, composa pour eux tous une prière commune à peu près ainsi conçue :

« Roi Zeus, dit-il, accorde-nous les biens, que nous t’en priions ou ne t’en priions pas, et éloigne de nous les maux, quand même nous les demanderions 5. »

Ce langage du poète me paraît, à moi, beau et sûr. Pour toi, si tu as quelque chose à y redire, ne garde pas le silence.

ALCIBIADE

VI. — Il est malaisé, Socrate, de contredire ce qui est bien dit. Cependant je songe à une chose, c’est le nombre de maux que l’ignorance cause aux hommes, lorsque, comme il paraît, elle nous fait faire, à notre insu, et, ce qui est le comble, nous fait demander aux dieux les choses les plus funestes. Personne ne s’en doute et tout le monde se croit en état de demander aux dieux pour lui-même les plus grands biens, mais non les plus grands maux, car cela ressemblerait vraiment à une imprécation et non à une prière.

SOCRATE

Mais peut-être, excellent Alcibiade, un homme plus sage que toi et moi dirait que nous avons tort de blâmer ainsi l’ignorance à la légère, sans ajouter que c’est l’ignorance de certaines choses, et que c’est un bien pour certaines personnes dans certaines conditions, comme c’est un mal pour ceux dont nous avons parlé.

ALCIBIADE

Comment dis-tu ? Peut-il donc y avoir une chose qu’il soit meilleur d’ignorer que de connaître, quel que soit l’état où l’on se trouve ?

SOCRATE

Je le crois pour ma part, et toi, ne le crois-tu pas ?