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l’empire de toute l’Europe, il te promît non seulement cela, mais encore que le jour même, si tu le désirais, tout le monde saurait qu’Alcibiade, fils de Clinias, est roi, je suis persuadé que tu t’en irais au comble de la joie, comme ayant obtenu les plus grands biens.

ALCIBIADE

Et moi, Socrate, je suis persuadé que n’importe quel autre que moi le serait aussi, si pareille aubaine lui arrivait.

SOCRATE

Tu ne voudrais pourtant pas sacrifier ta vie pour posséder le pays et la souveraineté de toute la Grèce et des barbares ?

ALCIBIADE

Non, sans doute ; car à quoi bon, si je ne devais en jouir aucunement ?

SOCRATE

Et si tu devais en retirer du mal et du dommage, tu ne le voudrais pas non plus, dans ces conditions ?

ALCIBIADE

Non certes.

SOCRATE

V. — Tu vois donc bien qu’il n’est pas sûr ni d’accepter à la légère ce qui vous est offert, ni de le demander soi-même, si l’on doit en recevoir du dommage ou même perdre la vie. Nous pourrions citer beaucoup de gens qui, ayant ambitionné la tyrannie et fait tous leurs efforts pour y parvenir dans l’idée qu’ils travaillaient pour leur bien, ont été en butte aux embûches à cause de leur tyrannie même et ont perdu la vie. Je pense que tu n’es pas sans avoir entendu parler de certains événements qui sont arrivés tout récemment, lorsque le mignon d’Archélaos 3, tyran de Macédoine, non moins épris de la tyrannie que celui-ci de son mignon, tua son amant dans la persuasion qu’il allait être à la fois tyran et heureux. Mais après avoir joui de la tyrannie trois ou quatre jours, il fut assailli à son tour par d’autres ambitieux et périt. Tu vois que, parmi nos concitoyens aussi — et ceci,